Jérôme Carcopino

OSTIENSIA II - Le quartier des docks

MEFRA (Mél. d'Arch. et d'Hist.) 30 (1910), 397-446, pl. XIII


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Dans cette étude qu'il écrivit il y a trente-deux ans pour les lecteurs de la Revue des Deux-Mondes, et qui, avec l'original agrément de sa forme fluide, demeure, malgré ses courtes dimensions, la meilleure, la plus solide comme la plus intelligente, qu'on ait écrite sur Ostie (1), Gaston Boissier signale tout particulièrement le quartier où, derrière « le temple de Jupiter ou de Vulcain », - Gaston Boissier, prudent ou sceptique, s'est abstenu de choisir - entre des magasins qui devaient être très vastes et fort riches, ... une rue droite se dirige vers le Tibre, ... la plus grande des voies romaines qu'on ait encore découvertes », telle qu' « il n'y a rien à Pompéi qui en donne l'idée » (2). C'est en effet sur une longueur

(1) Les savants les mieux qualifiés pour parler d'Ostie en leur propre nom n'hésitent pas à la citer: cf., par ex., Vaglieri, Notizie, 1910, p. 31, n. 2. Insérée plus tard dans les Promenades archéologiques (p. 273-310), elle avait d'abord paru, dans le no. du 1er octobre 1878 de la Revue des Deux-Mondes, sous le titre: Les dernières fouilles de Pompéi et d'Ostie. La phrase qui commence l'article a disparu des Promenades. J'ai plaisir à la rappeler parce qu'elle souligne l'importance des ruines d'Ostie: « Je réunis dans cette étude Pompéi et Ostie: ces deux villes sont les deux débris les mieux conservés qui nous restent de l'antiquité romaine. Comme elles ont l'avantage de nous la montrer par des côtés différents et qu'elles se complètent l'une par l'autre, il est utile, quand on veut la bien connaître, de ne pas les séparer

(2) Promenades archéologiques, p. 283-284.

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d'environ 174 mètres, comptée des premières marches du temple à la rive du fleuve, et sur une largeur de 102 mètres, calculée du magasin aux amphores que M. Gatti remit au jour en 1903 (1) à la naissance du sentier qui conduit à la torre Bovacciana (2), une succession ininterrompue de murailles qui s'élèvent à la hauteur d'un second étage, de piliers qui ont fléchi sans céder, d'avenues

(1) Cf. Gatti, Notizie, 1903, p. 201-202, et Pasqui, ibid., 1906, p. 357-371. - En H, sur le plan.

(2) En passant par le cellier à huile que j'ai décrit dans les Mélanges l'année dernière et par les restes du palazzo imperiale (cf. C. L. Visconti, Annali, 1857, p. 281-340 et 1864, p. 147-183). La Torre Bovacciana est éloignée de 700 m. à. vol d'oiseau du quartier que nous étudions ici. On en trouvera une bonne description dans Tomassetti (Archivio rom. di stor. patr., 1897, p. 86). Comme le dit Tomassetti, cette bâtisse médiévale greffée sur une construction antique tire son nom de tor Bovacciana ou mieux tor Bovacciano ou mieux encore tor di Bovacciano, comme la désigne officiellement la carte de l'istituto geografico militare (fo. 149), comme la désignait en 1768 la carte de Calindri, non pas des boeufs qu'on aperçoit aux alentours, mais d'anciens propriétaires: les Bobacciani. De fait, le régeste du Cardinal Ugolin d'Ostie, publié à Rome en 1890 par Guido Levi, renferme une lettre du pape Honorius III adressée en décembre 1221 « nobilibus viris Cinzio, Bobazano et eorum natis » pour les blâmer et leur interdire de molester la « civitas Ostiensis que ad Romanam ecclesiam pleno

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qui gardent leur pavement, de seuils qui n'ont point bougé de place, de voûtes qui tendent encore au dessus des pièces vides leurs cintres maintenant tapissés de végétation. Si, pour la mieux voir, on est monté, par des marches antiques restaurées à peine, jusqu'à la terrasse moderne que l'administration des fouilles a fait établir (1),

jure pertinet » et notamment de « castrum edificare in gravem Apostolice sedis... injuriam » (p. 129). M. Levi a reconnu, en note, l'identité de Tor Bovacciana et du castrum de Bobazanus. Avec raison, il me semble, car, postérieurement à son édition et au mémoire de M. Tomassetti, M. Schiaparelli a publié (Archivio rom. di stor. patr., 1902, p. 41 sqq.) un jugement des magistri aedificiorum urbis, duquel il résulte que les « terrae et pascua Bobacianorum et quas dominus Angelus Bobacianus de Bobacianis et alii Bobaccani consortes eius [tenuerunt] » (ibid., p. 48). qui s'étendaient d'un côté usque ad flumen maius et de l'autre usque ad flumicellum, c'est-à-dire sur toute la largeur de l'île sacrée, étaient devenues, à la date de 1295, pour une part, propriété ecclésiastique, et, pour l'autre, propriété des Raynerii (ibid., p. 49). Ces textes confirment, par les formes (Bobacianus, Bobaccanus) qu'ils apportent, l'étymologie de Tomassetti, et, par leur date, l'époque que M. Levi assignait à la reconstruction médiévale de Tor Bovacciana. Ils manifestent avec éclat la persistance incroyable des dénominations populaires qui maintient le souvenir des Bobacciani, sept siècles après l'extinction de leur famille, sur leur ancienne forteresse. Toutefois les usages locaux ont la vie plus dure encore: j'ai, en effet, la conviction que le passeur qui dépose les touristes venus de Fiumicino au pied de Tor Bovacciana recommence le trajet que faisaient déjà ses lointains prédécesseurs du XIIIe et du IIIe siècles. Car enfin, quand la vie s'était retirée des murs d'Ostie antique une demi-lieue plus à l'Est, vers les salines, autour de Santa Aurea, sur l'emplacement d'Ostie moderne, quelle raison aurait eue Bobaccianus, burgrave malfaisant, de se retrancher là, si ses contemporains, qu'il opprimait, n'avaient pas eu l'habitude d'y traverser le fleuve? Et il ne faut pas oublier, non plus, que les vieilles cartes de la campagne romaine, celle de Calindri notamment, marquent le tracé d'une route antique, qui traversait l'île sacrée depuis le Fiumicello au long du campanile de S. Ippolito jusqu'à la Fiumara en face de Tor Bovacciana, et dont on a exhumé des restes convaincants près de l'ancienne chapelle de S. Biagio (cf. Notizie, 1880, p. 83 et 1889, p. 163). La tour de Bobaccianus ne commande le péage d'aujourd'hui, la route antique n'y vient aboutir que parce que, soustrait aux fluctuations de l'histoire, il a été, au moins depuis l'Empire, le péage de toujours. Cf. la photo prise de la gravure exécutée pour la carte de Fea en 1804 et représentant la torre Bovacciana, fig. 1, p. 398.

(1) En B e sur le plan.

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et qu'on l'embrasse d'un regard, on est aussitôt saisi d'admiration. On ne songe d'abord qu'à jouir de la beauté certaine que met en ce paysage de silence et d'horizons, entre la ligne bleutée des bois de Castel-Fusano sur laquelle se détache, en vigueur, la masse rouge du grand temple, et la courbe que le Tibre jaunâtre, encombré de roseaux, dessine autour de l'Isola Sacra, le splendide déroulement de toutes ces ruines, dont les briques, suivant les heures et les saisons, brillent doucement ou s'embrasent sous l'immense ciel de la Campagne Romaine. Les yeux et le coeur s'attardent à la fête que leur donne ici, comme à Rome sous les chênes verts du Palatin, comme à Tivoli à l'ombre des oliviers et devant les cyprès de la villa Hadriana, l'étonnant mariage de la nature et du souvenir, du site et de l'histoire, des architectures écroulées et de la lumière immortelle. Puis, peu à peu, l'ordre de ce grandiose ensemble se révèle; les lignes principales s'en dégagent: et non seulement on y retrouve, comme G. Boissier, les « traces manifestes de l'importance et de la prospérité de la ville » (1), mais il semble qu'on y découvre le caractère même qu'elle dut avoir. Ces alignements symétriques d'édifices utilitaires, cette vaste suite de pièces et de remises à peu près semblables évoquent l'activité énorme et réglée du grand port annonaire qu'avait décrété la volonté des Empereurs.

Si donc, malgré l'intérêt que ce quartier présente, le plan que MM. Ernest et Jean Hébrard m'ont fait l'amitié d'en dresser (avec les notes que je leur avais remises et les relevés qu'au mois de juin 1906 ils sont courageusement allés prendre sur le terrain) est le premier qu'on ait encore publié - en attendant le plan d'ensemble de l'ingénieur Giammiti, exécuté en 1896 (2) et depuis lors invisible - cela

(1) Promenades archéologiques, p. 283.

(2) Cf. Tomassetti, Arch. rom. di stor. patr., 1896, p. 335. M. Ernest Hébrard a obtenu la médaille d'honneur au Salon de 1910 pour sa belle restauration du Palais de Dioclétien à Spalato. M. Jean Hébrard enseigne l'architecture à l'Université Cornell.

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tient aux conditions particulièrement défectueuses dans lesquelles il a été rendu â la lumière. Des fouilles pratiquées avec la méthode qu'on y applique aujourd'hui, relatées dans des rapports aussi minutieusement exacts que ceux qui, depuis quelques années, paraissent dans les Notizie degli Scavi, sont, à Ostie, chose relativement récente: on peut bien dire, sans contrister la mémoire de ses prédécesseurs, qu'elles ne datent que du jour où M. Lanciani en assuma la charge, il y a trente-deux ans. La région qui nous occupe a été d'autant plus sacrifiée pour la science qu'elle a excité plus tôt la curiosité et qu'on l'explora avec plus de hâte et d'acharnement. Si l'on excepte, en effet, la partie des bâtiments situés de part et d'autre de la rue à, qu'exhuma M. Lanciani de 1878 à 1880 (1), les constructions qui terminent cette rue à l'Est de l'area du grand temple et les deux pièces situées à l'angle N. O. de la place D, dont M. Gatti et M. Vaglieri ont fait respectivement évacuer les décombres en 1905 et 1906 (2), on constate qu'elle a été tout entière déblayée avant 1878. C'est Petrini qui parait l'avoir, le premier, attaquée, entre 1802 et 1805; mais il a borné ses efforts incohérents d'avide chercheur de marbres l'esplanade de la cella, et à ses environs immédiats. Le manuscrit de 225 pages que conserve de lui la bibliothèque de la commission archéologique de Rome (3) n'est qu'un monotone inventaire d'objets trouvés et de prix courants, et, si la seule indication topographique, d'ailleurs bien vague et fugitive, que j'y ai rencontrée se rapporte

(1) Fiorelli (Lanciani), Notizie, 1878, p. 37-38, 67-68, 79, 138, 334; - 1880, p. 56 et 229.

(2) Cf. Vaglieri, Notizie, 1906, p. 448. Je laisse naturellement de côté la rue parallèle à l'axe du temple que M. Vaglieri a fouillée peu après, me contentant de renvoyer sur ce point aux pages excellentes qu'il a insérées dans les Not., 1908, p. 329-330, sans parler des fouilles antérieures sur lesquelles nous sommes si mal informés.

(3) No. 12 de la bibliothèque.

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précisément au grand temple (1), nous ne connaissons pourtant au juste la direction et les limites de ses investigations que par les planches contemporaines du mémoire de Guattani (2) et de la carte de Fea (3). En 1824 ce fut le tour des frères Cartoni de venir à Ostie tenter la fortune; si je comprends bien la lettre que Melchiorri envoyait de Rome le 30 avril 1825 à son correspondant de Florence, ils avaient en quelque sorte monté l'entreprise par actions et n'en attendaient que des bénéfices pécuniaires (4). Comme Petrini, ils recoururent à des sondages « in più luoghi » et ne s'arrêtèrent que « per qualche giorno » sur l'emplacement « di prospetto al bel tempio », c'est-à-dire à l'opposé du quartier qui nous occupe aujourd'hui; ils y curent la main heureuse, d'ailleurs, puisque c'est là que « fu rinvenuta la base della statua equestre che d'ordine dei decurioni fu eretta a Ermogene », ainsi que nous l'apprend l'inscription mutilée qu'elle portait, qui figure au C. I. L., XIV, 353, et dont une des dernières trouvailles de M. Vaglieri nous fournit à coup sûr la restitution intégrale (5). Les seules nouvelles que nous possédions sur cette campagne de fouilles, c'est de la

(1) Dans son manuscrit, p. 199, Petrini indique que les « pezzi di cornicioni » qu'il vante « per pregio del di loro intaglio di cospicua rarità » ont été trouvés « nel territorio di Ostia sotto la casa rossetta, cosi volgarmente chiamata ». Comme nous le verrons dans un prochain article, c'est du grand temple qu'il s'agit.

(2) Guattani, Monumenti inediti, VII, Rome, 1805, p1. I, XXI et XXII. Sur la planche I apparaissent trois cellae et un grand nombre de piliers de la rue B.

(3) Fea, Pianta topog. dell'antica et moderna Ostia con le adiacenze, Verani dis., Feoli incis., 1804 (avec 13 vignettes marginales de toute beauté) = no. 44 de la bibliographie de Tomassetti, La Campagna Romana, Rome, 1910, I. p. 256. Je remercie M. Ashby, directeur de l'Ecole Anglaise de Rome, d'avoir bien voulu m'en faire exécuter, sur l'exemplaire qui lui appartient, les photographies dont j'avais besoin.

(4) Antologia (de Florence), t. 18, p. 115: « in più luoghi si sono eseguite le cave sotto la direzione dei fratelli Cartoni negozianti et principali intraprendenti di queste ... ».

(5) Cf. Vaglieri, Notizie, 1910, p. 13.

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lettre précitée de Melchiorri que nous les tenons: du moins, suggéra-t-elle à un pensionnaire de. l'Académie de France à Rome, Gilbert, l'idée de dresser du temple d'Ostie, sur lequel elle ramenait l'attention et dont elle dégageait les abords, un état actuel et un projet de restauration (1). Enfin, de 1860 à 1878 (2), C. L. Visconti avant le 20 septembre 1870, Pietro Rosa après, achevaient de rendre ce quartier à la lumière. Mais comme ils n'en avaient tiré ni marbres de prix (3), ni inscriptions sensationelles (4), et qu'ils

(1) Gilbert (1795-1874), membre de l'Institut, a construit ou reconstruit l'hospice de Charenton, l'Hôtel-Dieu, la prison de Mazas et la Morgue. Elève de Vignon, il obtint le grand prix de Rome en 1822. Son « envoi de Rome » est aujourd'hui déposé à la Bibliothèque des Beaux- Arts. Il comprend dix planches: un état actuel, un plan restauré, une perspective de 1a façade, une vue de face (état actuel et restauration), une vue latérale externe (état actuel et restauration), une vue latérale interne (état actuel et restauration), des détails (corniches, chapiteaux, etc.) et un mémoire de 10 pages relié avec le mémoire de Villain sur le temple de Marc-Aurèle (1824) et celui de Blouet sur les thermes de Caracalla (1826). M. d'Espouy, professeur à i'Ecole des Beaux-Arts, a inséré les reproductions en héliogravure des neuf premières dans la publication qu'il dirige sous le contrôle de l'Académie des Beaux-Arts et avec le concours de M. Georges Seure, des Monuments Antiques relevés par les pensionnaires de l'Académie de France (à Paris, citez Massin). Je remercie M. d'Espouy et M. Marcheix, conservateur de la Bibliothèque des Beaux-Arts, des facilités qu'ils m'ont offertes pour étudier à mon aise le travail de Gilbert. Je compte l'utiliser dans le prochain article que je consacrerai au Capitole d'Ostie. Sur cette identification, voir, en dernier lieu, la note de M. Van Buren, The temples at Hostia, New-York, 1906.

(2) Surtout en 1858, 1869 et 1873. Cf. Lanciani, Notizie, 1880, p. 229.

(3) En dehors des marques de briques, des lampes, des vases d'Arezzo, des amphores qui sont la menue monnaie de toutes les fouilles d'Ostie, je ne relève, soit dans les fiches de M. Lanciani, soit dans les rapports qu'il inséra dans les Notizie, qu'un fragment de sarcophage (cf. C. I. L., XIV, 1859), le buste de Crispina Augusta, et un petit lapin de bronze en train de ronger une pomme (Notizie, 1878, p. 37).

(4) Entre autres, une dédicace à Isis (C. I. L., XIV, 21), une inscription honorifique remployée comme seuil (Notizie, 1878, p. 38 et C. I. L., XIV, 108), un fragment d'album corporatif (Notizie, 1879, p. 334; C. I. L., XIV, 263), et deux graffiti (C. I. L., XIV, 2036; 2037). Une circonstance qui ne dut pas engager C. L. Visconti à donner à ses fouilles dans ces parages une trop bruyante publicité, ce fut l'affaire G..... A 83 m. à l'Est de l'angle

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pouvaient au surplus chercher tous deux dans les circonstances politiques des excuses à leur silence, le premier arguer de la brusque interruption de son oeuvre, le second des difficultés inséparables de toute organisation nouvelle, ils négligèrent de présenter les résultats de leurs investigations au monde savant: mais le jeune collaborateur qu'ils s'étaient attaché et qui devait remplacer le dernier d'entre eux, M. Lanciani, avait pris au cours de leurs travaux des notes précieuses. Ses propres découvertes ne devaient pas lui laisser le temps de les utiliser lui-même, mais il les communique avec une obligeance dont je lui suis pour ma part très reconnaissant et à laquelle le présent tableau doit une bonne part, non seulement de son intérêt, mais de sa fidélité. Car, réduit à lui seul, à cette distance des fouilles, l'examen des lieux eût comporté trop de chances d'erreur: ici, c'est un mur qu'on a fait abattre pour faciliter le charroi des décombres (en B m et m'; en D m'): là c'est un mur qu'on a fait élever avec des matériaux antiques, soit pour barrer la route aux inondations du Tibre (en B s) soit pour soutenir la terrasse sur laquelle fut élevé le « casone del sale » (en A s et s') (1) . A chaque pas il convient de contrôler ce qu'on voit par ce que les autres ont vu, et je pense n'avoir rien négligé des documents qui pouvaient m'aider à ressaisir dans l'état présent des ruines quelques-uns des traits plus qu'à demi effacés de la réalité an-

Est du temple, et à 21 m. au Sud « fra gli avanzi di edificio privato incominciati a scavare sul principio di quell'anno (1870) ... si rinvenne una quantità prodigiosa di sculture figurate ed ornamenti in bronzo quasi che una o più delle officine tornate in luce avessero appartenuto ad un fonditore di metalli. Molti di questi piccoli oggetti d'arte furono involati (G.....) e venduti a Napoli » (Notes Lanciani). Ce surveillant indélicat est nommé en toutes lettres dans les notes de M. Lanciani: il se déroba, par la fuite, aux poursuites judiciaires.

(1) Le bâtiment sert aujourd'hui d'habitation aux « custodi degli scavi », mais il reste dans le langage courant et pour les custodi eux mêmes le casone del sale. Tant que les pierres en tiendront debout, il témoignera sans doute de l'exploitation par le gouvernement pontifical des salines d'Ostie: après tout, il n'est qu'à 800 mètres de Torre Bovacciana.

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tique; mais je ne me flatte point d'y avoir réussi: mon ambition serait pleinement satisfaite si ce modeste essai de description devait un jour engager quelque cadet de Gilbert a entreprendre, non plus seulement du grand Temple, mais du groupe monumental qui lui fait si noble cortège, la restauration qu'il mérite.

*
* *

Au Nord de l'area du temple, trois avenues (A, B, E), une rue coudée (F), une ruelle (F') et une place (D) partagent les édifices du quartier selon une direction sensiblement Nord-Sud. Quatre autres voies G, G', C et C' les coupent selon une direction sensiblement Est-Ouest. Le mieux est d'emprunter au terrain ces divisions toutes faites.

La première rue qu'on aperçoit en descendant du casone avait un tracé qu'il est facile de reconstituer. Large de plus de 4 mètres (1), elle se prolongeait à l'origine au-delà du casone jusqu'au fleuve, comme la voie centrale à laquelle elle est exactement parallèle. Après avoir coupé la rue G à angle droit, elle était coupée de même et absorbée par une rue G', plus importante à ce qu'il semble, mais dont l'amorce seule a été dégagée jusqu'ici. Elle n'a conservé qu'en un ou deux places quelques uns des polygones de basalte qui constituaient son pavement. Elle est bordée à l'Ouest par des magasins: on en compte douze du casone â la rue G: sauf les trois derniers vers le sud, évidemment plus considérables (7m x 4m,80), ils sont non seulement de construction semblable, en appareil réticulé avec arêtes et chaînes latérices (2) mais de dimensions à peu près équivalentes (4m x 4m,50 en moyenne).

Leur pavement a, aujourd'hui, partout disparu: au moment de la découverte, on put, à certains débris, en deviner la nature chan-

(1) 4m, 65. Lanciani, Notizie, 1878, p. 138.

(2) De bas en haut: 0m,30 latérice - 1m,10 réticulé - 0m,30 latérice et ainsi de suite. Souvent quatre fois en tout.

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geante; suivant M. Lanciani (1), il était tantôt en briques, tantôt en basalte, tantôt en terre; dans ce dernier cas, de grands dolia à provisions, qui depuis ont disparu eux aussi, y avaient été enfouis. Les entrées, de plain pied avec la rue, étaient ornées de pilastres et de tympans en brique sculptée (2). A l'intérieur, à environ 3m,30 au dessus du sol, une corniche de briques faisait saillie, marquant la hauteur du plancher dont elle supportait les solives. Deux escaliers, ouvrant directement sur la rue, rompent la monotonie de cette enfilade: du premier il ne reste que le dessin et la trace laissée par les degrés sur les murs de la cage; du second, qui s'adosse à un escalier donnant sur la voie centrale, subsistent le seuil de travertin et quelques marches. Deux particularités méritent, à mon sens, une remarque (3). - 1) A l'angle Nord-Ouest de la pièce 1 est adossé un petit massif de maçonnerie, de parement latérice et de forme rectangulaire (4). Comme il ne s'élève pas à plus de 0m70 au dessus du sol - le revêtement de briques qu'il porte à sa partie supérieure suffit à le démontrer - c'était sans doute un de ces foyers dont il y à tant d'exemples à Pompéi, et sur lequel on isolait les charbons du « brasero » (5). 2) Dans les pièces 3 et 4, au même angle, est accolé un tuyau de descente. Celui de la pièce 4 se présente dans un excellent état de conservation: un blocage circulaire, dans l'intérieur duquel s'emmanchent des tubes

(1) Lanciani, Notizie, 1878, p. 138.

(2) L'escalier qui donne sur la rue G' est bien mieux conservé. Le seuil et dix-sept marches sont encore en place.

(3) Je laisse naturellement de côté les matériaux rapportés, comme les restes d'une meule en lave qu'on voit au pied de la terrasse du casone (en p sur le plan).

(4) Ici, 1m x 0m,90. Ailleurs, 0m,90 x 0m,70.

(5) Cf. Mau, Pompeii in Leben und Kunst, Leipzig, 1908, 1 vol. in-8o, p. 273-274. Cf. à Ostie, et dans ce quartier même, les massifs de maçonnerie de B 10; - C 2,3,4; - C' 14. Ceux de C 2 et de C 3 ont un rebord de 0m,35 environ.

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de poterie (1), vient s'emboîter dans un dé de maçonnerie latérice (2) qui le relie au réseau d'égoûts dont on constate, tout près de là, l'existence (3). Cette fois encore, la comparaison avec Pompéi s'impose, soit que l'on regarde la vue que M. Gusman a prise dans la VIme insula de la VIIme regio (4), soit que l'on considère le dispositif que M. l'abbé Thédenat a reproduit, d'après Fiorelli, dans le Dictionnaire des Antiquités (5).

Le côté Est de la rue A est un peu plus compliqué. M. Lanciani y voit une suite d'anciens magasins qui auraient été ultérieurement convertis en habitations privées (6). Son appréciation doit être retenue en général, mais si certains de ces bâtiments, notamment en A a avec la juxtaposition de pièces pareilles et indépendantes, et en A b avec le dispositif de la boutique et de l'arrière-boutique si

(1) Diamètre = 0m,30.

(2) Hauteur = Om,60; largeur = 0m, 52 : épaisseur = 0m,60. Cf. la fig. 2, p. 407.

(3) Cf. infra, p. 417.

(4) Gusman, Pompei, Paris, s. d., 1 vol. in. 4o, p. 323.

(5) C'est le dispositif de la maison 63, via 4, insula 9, reg. VII. Cf. Thédenat, art. Latrina, dans le Dictionnaire des Antiquités, III, 2, p. 990.

(6) Lanciani, Notizie, 1878, p. 67. Il précise même l'époque du changement survenu: ai tempi severiani.

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fréquent à Pompéi (1) et à Timgad (2), nous offrent des aspects classiques de la taberna, d'autres, avec la multiplication de leurs pièces et leur luxe de décoration ne peuvent avoir été, au moins sous cette forme, que des demeures particulières. Les uns et les autres, du reste, ont été remaniés, souvent à plusieurs reprises, quelquefois à une très basse époque: j'attribue au IVe siècle, comme à l'âge le plus haut qu'on puisse leur assigner, les bizarres maçonneries que la fouille de 1906 nous a révélées juste en face de la pièce spacieuse qui fait l'angle des rues A et G', au long du mur qui entoure l'area du temple (A l sur le plan), et où se confondent tous les appareils et tous les matériaux (3). L'édifice le mieux dégagé et le plus considérable (en d sur le plan) se compose de sept salles qui communiquent entre elles et qui communiquent avec le dehors: à l'Ouest, sur la rue A, par des ouvertures pratiquées à différentes époques (4), et à l'Est, sur la rue qui n'a pas encore été fouillée, par une porte et un seuil de marbre. Leur niveau, inférieur, à l'Est, de 35 cm. à celui du terrain, est supérieur, à l'Ouest, de 75 cm. à celui de la rue. De ce côté, les murs, construits en appareil latérice, sont supportés par un blocage qui a perdu son parement; et il est assez curieux de voir les pilastres qui flanquent les portes comme suspendus dans le vide: à l'intérieur, les murs, dont la plupart se dressent à plus de cinq mètres au dessus du sol, sont bâtis dans le système mixte défini plus haut (5); chacune des salles qu'ils limitent était couverte, à la hauteur de 3m,30 d'un

(1) Mau, op. cit., p. 285, fig. 147.

(2) Boeswillwald, Cagnat et Ballu, Timgad, p. 7 et 8.

(3) Des pilastres en brique moulurée sont édifiés sur des blocs de travertin, d'un remploi évident. Peut-être les marches qu'on voit au centre conduisaient-elles à un lararium compitalicium.

(4) Par exemple celle qui donne dans la pièce I, ou ne l'a été que très tard, ou même n'est que le résultat d'une effraction. Nulle régularité dans la taille du mur. On peut en dire autant de la baie entre d I et e'.

(5) L'appareil latérice y entre dans une proportion plus forte: de bas en haut, 1m,45 de briques - 1m,15 de réticulé - 0m,30 de latérice.

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plafond soutenu par des corbeaux de travertin (1); au dessus de ces modillons, à une distance égale à leur propre distance du pavement, M. Lanciani nota, en 1878 (2), d'autres modillons de travertin, preuve certaine de l'existence d'un second étage au dessus d'un premier et d'un rez-de-chaussée également spacieux. Les pavements étaient partout en mosaïque (3) et toutes les parois étaient revêtues d'un stucage peint. Sur le mur Sud de la salle I on ne distingue plus que de larges bandes jaunes sur fond blanc, cadre rudimentaire de tableaux effacés; sur le mur Nord les bandes rouges alternent avec les bandes jaunes. On est un peu mieux partagé avec le mur de l'Est. Percé d'une porte large de 0m, 90, haute de 2 mètres 05, et d'une fenêtre légèrement cintrée à son sommet de dimensions insolites (commençant à 0m,85 du sol, elle est haute de 1m,80, large de 1m,85), il montre au dessus de la fenêtre des débris de décoration peinte: à gauche, les habituels dessins architectoniques (en rouge et jaune), à droite, dans un registre où le vert domine, un charmant petit paysage de 25 cm. sur 7 cm.: une barque rougeâtre sur un fleuve que traverse un pont et au bord duquel s'élèvent des portiques (4). La pièce II prend jour à l'Est par deux fenêtres superposées; celle du bas correspond exactement à celle de la pièce précédente, de celle du haut on n'aperçoit plus que l'amorce inférieure. Sur le fond rouge du mur de l'Est on discerne vaguement, entre des lignes architecturales, des personnages qui courent et une femme dont la tête est ornée d'un diadème surmonté d'une aigrette (Isis ?). Sur le mur Sud, au dessus de la porte, une figure volante, en vert, tenant dans sa main gauche une étoffe rouge s'enlève sur un fond jaune.

(1) Voir les trois qui sont encore en place dans la salle III.

(2) Notizie, 1878, p. 67.

(3) Suivant M. Lanciani (Notizie, 1878, p. 67) il s'agit de mosaïques blanches et noires à décor géométrique. Quelques cubes sont encore visibles au ras des murs, notamment dans la salle IV.

(4) Cf. la fig. 3, p. 410.

410

Les peintures de la chambre III, que deux grandes baies éclairent à l'Est, ont à peu près disparu. Celles de la chambre IV sont plus nettement visibles (1); mais les peintures les mieux conservées sont. sans contredit celles de la VIme salle; sur le mur Ouest, à

(1) Sur le mur Nord se mêlent tous les tons, rouge, blanc, gris, gris-vert. Sur le mur Sud on aperçoit, sur fond jaune, un paysage et des fleurs.

411

gauche, un homme à longs cheveux, en rouge, se détache d'un fond jaune; sur le mur Sud, au dessous d'un personnage en toge blanche et d'une déesse volante, se déroule une véritable composition (0,80 cm. x 0,75 cm.); il est seulement dommage qu'elle n'ait été ni décrite ni photographiée au moment où elle a été rendue à la lumière, car maintenant qu'elle a souffert deux fois les injures du temps, sous les décombres qui pendant des siècles la cachèrent aux regards, et dans l'abandon où elle gît depuis sa découverte, exposée au double danger des deprédations et des intempéries, il est bien malaisé d'en deviner le sens et les détails. Sur un fond bleu qui a presque tout envahi, il m'a semblé reconnaitre trois figures: à droite, un personnage assis tourné vers la gauche; puis, tourné vers la droite, un personnage auquel l'artiste a donné de moindres proportions, soit parce que c'est un adolescent, soit parce qu'il est au second plan. Enfin, au premier plan, tout à fait à gauche, une femme dont la robe violette laisse le bras à découvert. Marchant d'un élan comme retenu, dont la trace sur le mur reste charmante encore, elle se laisse guider par le second vers le premier. Timidement, elle avance vers celui-ci sa main droite: d'un geste résolu,

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il lui tend la sienne (1). Est-ce là Junon que Cupidon entraine vers Jupiter, comme sur la peinture de la maison du poète tragique (2)? Est-ce tout simplement la scène d'hymen ou d'amour devenue banale à force de répliques (3)? En tout cas, malgré l'effacement des lignes et la confusion des nuances, l'exécution fait toujours sur l'oeil une impression favorable: elle ne parait ni trop indigne, ni trop éloignée des fresques de Pompéi et du Palatin.

*
* *

La voie A, par ses dimensions, sinon par les bâtisses qui l'en cadrent, n'a rien d'original. Elle rappelle l'Appia, les rues de Pompéi: on l'a rencontrée un peu partout. Au contraire la voie B ne ressemble aux autres que par son pavement formé de grands polygones basaltiques (4). Dès qu'on s'y est engagé on oublie les lieux communs qu'on apprit à développer, dans le Forum Romain, par exemple, sur l'exiguité des villes antiques. Que l'on compte plutôt: d'un pilastre à l'autre, elle mesure 8m,90; d'un mur à l'autre 15m,20, soit 50 pieds romains. Trois routes consulaires ne la rempliraient pas. Du Tibre, d'où elle partait par un quai, dont la carte de Fea, et les gravures qui l'accompagnent nous ont transmis le souvenir (5), elle se dirige vers l'area du Temple sans se détourner ni s'amoin-

(1) Cf. fig. 4, p. 411.

(2) Mau, op. cit., p. 332.

(3) Cf. Gusman, Pompéi, Paris, s. d., 1 vol. in-4o, p. 405; et Helbig, Wandgemaelde Campaniens, Leipzig, 1868, p. 337 et 345 (voir notamment la description du no 1452).

(4) Pour la rapidité du dessin, MM. Ernest et Jean Hébrard les ont figurés au double de l'échelle. - Cf. la photographie prise de la rue B par les soins de la maison Alinari qui a bien voulu m'autoriser la reproduire ici, fig. 5, p. 413.

(5) C'est la vignette 10 de la carte de Fea. Cf. la photo que j'en ai prise, fig. 6, p. 414.

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drir. En effet, les deux murs r et r' (1) qui la restreignent, vers le sud, à une largeur de 3m,40, ont été posés sur les basaltes du chemin à une époque tardive; et il est incontestable qu'abstraction faite des transformations malheureuses (2) qu'elles eurent à subir, les grandes salles 1, 2, 3, 4, 5, 6, avec leurs seuils de puis de 4 m. de long, leurs pavements d'opus spicatum, leurs murailles de belle apparence (3), sont d'une majestueuse ampleur, même comparées aux vastes immeubles qui les environnent. Des deux escaliers. qui, en e et e', se font face, jusqu'au fleuve, la rue passe entre deux files de quinze salles chacune. Ces trente cellae, de plan

(1) 3m,70 x 1m,20.

(2) Cf. les piliers postiches de 1 et 5; le double pavement de 5 et 6; le remplissage de la basse époque de la haie entre 1 et 2.

(3) Appareil mixte réticulé et latérice.

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à peu près carré (1), de dimensions voisines sinon toujours égales (2), offrent, sauf réfections ultérieures, une structure identique: les murs élevés au bord de la rue sont en appareil latérice; les murs de fond et les parois transversales répètent la combinaison, dont les édifices de la rue A nous ont montré un premier exemple, et dans laquelle des parements réticulés s'encadrent de chaînes et d'arêtes en briques (3). Dans chacune de ces salles on observe le mêmes saillants latérices - et à la même hauteur (= 3m,30) - que dans les pièces contigues de la rue A, comme si les corniches de celles-ci et de celles-là avaient été taillées ensemble. Dans les unes et dans les autres on rencontre plusieurs sortes de pavement, l'opus spicatum, comme en B e", le cocciopesto, comme en B 10. Ici comme là, les baies par lesquelles ces pièces ouvrent sur la rue occupent les deux tiers de la largeur totale (4), mais il n'y a plus un seul des grands seuils sur lesquels tournaient les portes de bois qui, à Pompéi, par exemple,

(1) Superfice moyenne = 30 m2. Elles sont un peu plus longues du N. au S. que d'E. en O.

(2) Les différences sont infimes; le plan ne les accuse qu'à peine.

(3) De bas en haut: 0m,30 latérice - 0m,20 réticulé - 0m,30 latérice, et ainsi de suite. Certains murs de fond, notamment en 13 et 14, ont été rebâtis.

(4) En moyenne, 3m,80.

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fermèrent les tabernae, et qui devaient clore jadis chacune de ces cellae (1). Par contre, plusieurs d'entre elles (2) conservent encore les voûtes en berceau qui, jetées du Nord au Sud à 7 m. environ au dessus du sol, les surplombaient toutes autrefois (3).

Ce qui distingue celles de la rue B, c'est le large portique pavé en opus spicatum, qui les précédait, et auquel appartenaient les piliers à pilastres, de brique sobrement ouvragée, qui se dressent sur le prolongement de chacune de leurs parois latérales. Il n'est pas facile d'en recomposer l'aspect premier, car la main

(1) L'ouverture qui fait communiquer la salle B 14' avec la salle de la rue A qui lui est adossée, a été, à mon avis du moins, percée dès l'antiquité. De même l'ouverture entre B 11 et B 12. Toutes les autres m'ont paru modernes.

(2) Notamment B 14'. Cf. la photo, fig. 7, p. 415.

(3) Devant le mur commun à B 11 et B 12 gît une colonne de marbre bigio ayant 0m,45 de diamètre. Dans B 12, à côté d'un tas de briques et de tuiles, j'ai remarqué un bloc de marbre, mesurant 0m,85 x 0m,36 x 0m,20, sur la tranche duquel on lit en caractères hauts de 0m,09: CCCXX(]IX. A l'entrée de B 13, un beau fragment de meule; dans B 14 un morceau d'entablement en marbre avec pirouettes, gouttes et rinceaux; dans B 15 deux fragments d'une colonne de granit de 0m,46 de diamètre.

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des restaurateurs en est venue plus d'une fois déranger l'ordonnance originelle. A une époque, que j'estime assez basse, tant l'opération accuse de négligence, certains de ces piliers ont dû être renforcés. Les architectes d'alors se contentèrent de juxtaposer, sans scellement ni mortier, aux anciens piliers branlants et penchés des piliers nouveaux, en brique comme eux, mais sans mouluration (1). Ils consolidèrent ainsi quatre piliers au Sud de la salle 14, quatre piliers en face de la salle 15, un pilier au Nord des précédents, sans qu'on puisse alléguer à leur choix d'autre raison qu'une urgente nécessité. Ici ils ont placé deux contreforts; là ils n'en placèrent qu'un, parce qu'indifférents à l'effet artistique ils ne visèrent qu'à l'économie et coururent au plus pressé. Ce travail dénué de beauté n'eut même pas le mérite d'être solide. Bientôt, il fallut sur les points les plus menacés (2) soutenir le portique défaillant par des murs (3) qui en détruisirent la perspective. Elle n'a été à peu près rétablie que le jour où Pietro Rosa, pour évacuer plus facilement les décombres de ses fouilles, fit éventrer ces tristes maçonneries. Du moins, en ne retenant de toutes ces réparations que la force de la poussée qui les rendit nécessaires, arrive-t-on à se représenter ce que fut ce portique, élevant sur l'élégante échine de ses 16 piliers à pilastres (4), à une hauteur d'environ 14 m., la superposition de ses deux rangées d'arcades. De plain-pied avec la grande avenue, l'allée du bas protégeait contre la pluie et la chaleur le va-et-vient des passants. Eclairée par la loggia du haut, l'allée supérieure permettait à ceux qui avaient affaire dans les pièces du premier étage d'y entrer et d'en sortir. L'état présent des ruines fournit sans peine tous les éléments de cette sommaire reconstitution: au dessus des voûtes qui subsistent, les murs érigent encore,

(1) Les pilastres primitifs mesurent 0m,95 de front x 1m,15. Les piliers rajoutés n'ont que 0m,90 de front.

(2) En B 8 et B 9.

(3) En pseudo-réticulé, suivant l'heureuse expression de M. Vaglieri.

(4) Sauf devant les escaliers, ils se succèdent de 5m,60 en 5m,60.

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ici sur quelques centimètres, là sur près de 2 mètres, leur harmonieux mélange de losanges de tuf et de briques rectangulaires. Il est donc avéré que par dessus l'entresol, dont la charpente et le plancher posaient sur la corniche latérice de chaque cella, régnait un étage divisé, par le prolongement des murs latéraux du rez-de-chaussée, en trente nouvelles salles semblables aux siennes. On pouvait accéder à l'étage, certainement par les trois escaliers e, e', e", probablement par les six escaliers qu'un architecte ne manquerait pas d'inscrire dans un projet de restauration, d'abord en e, e', e", là où l'on en voit effectivement, puis en face d'e, là où un passage moderne a été frayé vers le casone, et enfin au bord du fleuve, de chaque côté de l'avenue, à une distance d'e et de son vis-à-vis, égale à leurs distances respectives d'e' et d'e". Mais six, et à plus forte raison trois escaliers, ne peuvent avoir desservi trente cellae que s'ils étaient reliés entre eux à la hauteur de l'étage par une galerie; et cette galerie, qu'on n'imagine que couverte, ne pouvait l'être qu'à la même hauteur que l'étage, sous peine de le plonger dans une obscurité inadmissible: sa toiture en pente (1) devait amener les eaux de pluie vers le milieu de l'avenue, où, de 22m,50 en 22m,50 (= 75 pieds), se succédaient les bouches d'égoût (2).

*
* *

Ainsi, de grands salles voûtées en berceau, auxquelles s'ajoute un étage et que suit un double portique, telle est la disposition que nous présente la rue B. Elle se répète en C, en C' en D. C'est.

(1) Voir les toits des représentations antiques citées infra, p. 424 et 425.

(2) Ces bouches d'égoût d'un diamètre de 0m,30 sont inscrites dans un rectangle de travertin (0m,80 x 0m,60). Elles sont indiquées cl sur le plan. Un égoût suivait donc l'axe de la rue B. Deux autres égoûts devaient passer sous les portiques mêmes. Deux sondages pratiqués sous le portique Ouest ont démontré l'existence de l'un d'eux. L'administration des fouilles a fait élever une petite balustrade de briques autour des deux trous au fond desquels ils apparaissent (également en cl sur le plan).

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pourrait-on écrire, la disposition-type de tout le quartier. La portion de C qui descend au Tibre n'a que 7m,50 d'une cella à l'autre, mais le portique, qui, peut-être, a commencé par ne courir qu'entre les piliers qui la jalonnent et les salles de l'Ouest sensiblement plus rapprochées, a dû finir par la recouvrir tout entière. Ainsi s'expliqueraient le contrefort qui n été élevé sur le prolongement du mur Nord de la salle C 9, le massif de maçonnerie qui lui fait face, les encorbellements latérices que soutiennent, en avant des portes et des fenêtres qu'ils encadrent, de simples modillons de travertin enfoncés au bon endroit dans l'appareil des murailles (1).

(1) Voir la photo, fig. 8, p. 418. Ces encorbellements, auxquels l'administration des fouilles a donné des supports en bois, se rattachent à un système architectural, dont la villa de Tibur offre des exemples, et qui triomphe dans la basilique de Constantin. Cf. Rivoira, Di Adriano architetto e dei monumenti adrianei, dans les Rendiconti dell'Accademia dei Lincei, 1909, p. 174: « Fra esse [le novitâ costruttive] segnaleremo il concetto delle crociere impostantisi sopra sostegni pensili che si osserva spiegato nelle terme maggiori [della villa] »: et Huelsen. Le Forum Romain, trad. Carcopino, p. 241.

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Une hypothèse du même genre aidera, je crois, à rendre compte de l'aspect actuel des piliers situés à l'intersection de C et de C'. Chacun d'eux est constitué par l'accolement de trois piliers érigés successivement. Les maçonneries du milieu, qui sont les maçonneries primitives, orientées d'Est en Ouest, n'ont aucune relation avec les murs latéraux des édifices voisins, comme si elles avaient servi de montants à des arcades indépendantes. Au contraire, les additions qu'elles reçurent au Nord et au Sud semblent trop bien correspondre aux contreforts dont on a renforcé les édifices du Sud et du Nord, pour que l'on ne songe pas une toiture qui, les rattachant aux arcades du milieu, aurait réuni les deux voies C et C' sous un commun abri de 12 m. de large. Toujours est-il que quatorze salles et deux escaliers prennent jour sur C, douze pièces et deux escaliers sur C' (1), trois pièces et deux escaliers sur F (2) et que toutes ces salles pour être moins régulières que sur les rues A et B rappellent cependant les mêmes détails de construction et d'agencement. En C 5, là où subsiste une partie de la voûte (3), on aperçoit dans l'angle Sud-Est quelques unes des amphores qui en formaient l'armature. La plupart des portes ont gardé leurs seuils; dans beaucoup, la porte monte jusqu'au linteau: un arc surbaissé, en briques « bipedales » posées de champ. En C 13 un fronton de brique moulurée le surmonte. Ailleurs, dans la maçonnerie qu'il soutient, on a foré une fenêtre que termine, à sa partie supérieure, un autre arc surbaissé (4). L'appareil est le même que dans les eues précédentes,

(1) 17 marches de travertin dans C'2; 16 dans C'5.

(2) En F 11, non marquées sur le plan, deux marches latérices, amorce d'un escalier incomplètement fouillé. En F 16 un fragment d'entablement, en marbre, avec oves, pirouettes et denticules. A l'entrée de F, deux colonnes latérices dont il ne reste que l'amorce du fût.

(3) A la même hauteur qu'en B.

(4) C 2, C 8, C 9 n'ont plus de seuils. Noter en C 7 et C 8 les additions de basse époque qui ont rétréci les portes.

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partout sauf le long de F' où le mur Est des pièces F 15, F 17 (1), F 18 commence par cinq assises de grands blocs du tuf (2).

Il existe en ce quartier d'autres survivances d'opus quadratum: on voit deux assises de tuf former la hase du mur de fond (3) dans la salle marquée 1 sur le plan de la place D. Adossée du côté du Nord aux pièces qui donnent sur la rue C', la place D est entourée, à l'Est, de onze salles que les fouilles ont révélées égales entre elles (4), et, à l'Ouest, - comme on peut l'inférer des onze portes de même largeur (5) qui correspondent aux seuils de l'Est, et des fouilles qui dégagèrent récemment D 12 et D 13 - d'autant de salles de dimensions identiques. Au Sud, si l'on fait abstraction du pas-

(1) De part et d'autre de l'entrée, deux bases qui peuvent avoir servi de comptoirs.

(2) Au dessus du tuf, le parement mixte recommence. Les blocs mesurent: 1m,30 x 0,62 (épaisseur) x 0m,53 (largeur). Voir la photo, fig. 9, p. 420. Entre ce mur et le mur Est de C'8 on a jeté par dessus F', à la hauteur de 2m,65 seulement, un petit arc d'une maçonnerie composite (briques à la base, petites bloquettes de tuf au sommet). Les salles F 17 et F 18 sont en surplomb de F, et on y pénètre par un seuil de travertin haut de 0m,30 et percé de deux orifices en demi cercle (0m,43 de corde, 0m,22 de la corde à la circonférence).

(3) Tout le mur a souffert d'un incendie.

(4) 11m,85 x 5m,30.

(5) 2m,30.

421

sage qui mène de G en D, relativement restreint, et des pièces adjacentes, plus petites, six salles ferment la place, de quelques centimètres plus étroites que les autres, mais de deux mètres plus longues (1).

Toutes étaient voûtées à une hauteur d'environ 7 m. (2). Et au Nord, comme à l'Est et à l'Ouest, elles présentent toutes même structure: les murs de front sont toujours en briques; les murs latéraux sont en réticulé avec des chaînes et des arêtes latérices. Les murs de fond aussi, mais avec des exceptions: en D 1, où nous avons noté l'intervention du tuf, en D 7, 8, 9, 10, où ils sont entièrement latérices. Le portique, qui les précède, avait une galerie supérieure, à laquelle on accédait par deux escaliers,

(1) 13m,20 x 5m,10.

(2) Plusieurs de ces salles, surtout an Sud, ont vu restreindre par des piliers postiches la largeur de leurs entrées. Cf. la fig. 10, p. 421.

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l'un au Nord-Ouest, l'autre au Sud-Est (1), et qui faisait communiquer entre elles et avec le rez-de-chaussée les pièces de l'étage. Il tourne autour de la place sur 28 piliers de brique, un peu plus rapprochés au Nord et au Sud, mais reliés ensemble, à l'Est et à l'Ouest, par un mur réticulé qui s'arrête aujourd'hui à quelques centimètres du sol, mais qui n'a jamais dû, à raison de sa faible épaisseur (2), jouer un autre rôle que celui de balustrade. Chacun d'eux mesure 1m,05 du Nord au Sud x 1m,20 d'Est en Ouest, sauf les quatre piliers m, n, o, p, plus considérables (1m,05 x 2m,34): m et n sont d'un seul tenant tandis qu'o et p sont constitués chacun de la juxtaposition de deux piliers égaux. Un arc de maçonnerie, en dolia bipedalia, est jeté entre les piliers m et n, dont il ne recouvre, d'ailleurs, que la moitié occidentale. Je tiens pour certain qu'un arc s'élevait symétriquement entre les piliers o et p; mais comme le sommet de l'arc subsistant n'est qu'à 2m,90 du

(1) Les degrés sont en travertin. Voici la photo de celui du Sud-Est, fig. 11, p. 422.

(2) 0m,35 seulement.

(3) La clé n'en est donc qu'à 2m,30.

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pavé en opus spicatum qui représente entre m et n le sol antique, l'on ne saurait admettre que cette voûte ait directement supporté le passage qu'on est amené à imaginer entre les deux côtés Est et Ouest de la galerie. Sans doute, l'architecte, fidèle à une méthode dont les portes et les fenêtres de la rue C réalisent une première application, a-t-il lancé sur chacun de ces deux groupes de piliers deux arcs de briques superposés: l'arc inférieur qui subsiste entre m et n, l'arc supérieur qui a disparu des deux côtés, mais qui, réuni au précédent par une maçonnerie probablement ajourée, a dû établir, entre les deux faces longitudinales de la galerie et de niveau avec elles, la liaison qui s'impose. Telle fut vraisemblablement cette place, que les custodi degli scavi, héritiers de la tradition orale reçue de Pietro Rosa, font visiter sous le nom trop modeste de piccolo mercato. Bordée de hauts portiques à double étage, entièrement pavée en opus spicatum comme le rez-de-chaussée des portiques, découverte ainsi qu'en témoignent les bouches d'égoût, collectrices d'eaux de pluie, qu'on y rencontre (1), elle se divisait en deux sections égales, peut-être en deux marchés distincts, que partageait le passage élevé en son milieu entre les galeries couvertes qui encadraient l'étage de ses cellae. Naturellement, ce passage était couvert lui-même, et il est bordé de deux rigoles en tuf, r et r', l'une au Sud de m à o, l'autre au Nord de n à p. Au surplus, rien ne nous empêche de croire que la protection de sa toiture, se tenait un troisième marché, où l'emploi de l'eau fût courant et nécessitât une canalisation spéciale, comme le marché au poisson de Pompéi, par exemple (2).

(1) En cl sur le plan.

(2) Ces deux rigoles pareilles (largeur interne = Om,40; profondeur = 0m,13) viennent buter à l'extrémité m, n, o, p contre la balustrade réticulée. Ce n'est pas la moindre difficulté de cet ensemble inquiétant. Sur le marché de Pompéi, cf. Mau, op. cit., p. 92.

424

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* *

Il y a telles constructions qu'on pourrait étudier jusque dans les détails les plus infimes sans pouvoir arriver jamais à en pressentir seulement la destination. Ici, au contraire, une seule visite aux ruines, un simple coup d'oeil jeté sur le plan de MM. E. et J. Hébrard suffiront à nous convaincre que le nom de quartier marchand donné à cet ensemble n'est nullement usurpé. Ce sont bien là, comme M. Lanciani les a tout de suite appelés dans ses notes d'il y a quarante ans, les docks d'Ostie. Un long mur central auquel s'appuyaient, à droite et à gauche, d'autres murs perpendiculaires formant des compartiments séparés, c'est la définition des horrea Galbae que suggèrent à M. l'abbé Thédenat les dessins de Fabretti (1). C'est la définition que nous pouvons donner, après les avoir vues nous mêmes, des cellae qui flanquent les rues A et B. Moins le passage couvert du milieu, qui n'est peut-être, du reste, qu'une addition postérieure, la place D apparaît comme la réalisation du plan des horrea Lolliana, tel que l'a reproduit la Forma Urbis Romae (2): même cour quadrangulaire au milieu, mêmes édifices quadrangulaires sur le pourtour et disposés dans le même ordre, puisque les cellae les plus vastes et les plus allongées occupent à Ostie, comme elles l'occupaient à Rome, un des petits côtés du rectangle central. Enfin les portiques qui, à Ostie, les encadrent (en B, en C, en D), sont représentés, non seulement sur ce fragment de la Forma Urbis, mais sur la peinture exécutée d'après l'antique par Bellori,

(1) Cf. la reproduction qu'en donne (fig. 3893) l'abbé Thédenat dans l'excellent article horreum qu'il a écrit pour le Dictionnaire des Antiquités, III, p. 270 et suivantes. On peut se reporter aussi, sur la planche 89 de Donaldson, Architectura Numismatica, aux magasins du Portus Traiani Ostiensis, tels qu'ils figurent sur un GB de cet empereur (Cohen II2, p. 49, no 305).

(2) Jordan, Forma Urbis Romae, Roma, 1874, pI. 43; ap. Thédenat, loc. cit., fig. 3892.

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et où des horrea, anonymes, il est vrai, et de localisation incertaine, figurent en arrière d'un bal(neum) Faustines (1). La preuve, ici, c'est l'évidence.

Il serait tentant de pouvoir assigner à chacun de ces magasins une affectation particulière et comme son contenu antique. Malheureusement sur les 2500 inscriptions qu'a livrées le territoire d'Ostie il n'en est pas une, à ma connaissance, qui mentionne des horrea (2).

(1) Aucun document moderne - car l'original antique a été aperçu pour la dernière fois le 19 août 1668 - n'a, je crois, davantage excité l'ingénieuse imagination des archéologues. On trouvera une bibliographie complète et raisonnée des questions qu'il soulève dans l'ouvrage de M. Charles Dubois, Pouzzoles, Paris, 1908, p. 201. Deux avis prédominent à son sujet. Suivant les uns (Bellori, de Rossi première manière, Huelsen) la peinture représenterait l'emporium de l'àventin. Suivant d'autres (Canina, de Rossi seconde manière, Beloch, Jordan et M. Dubois lui-même), la rade de Pouzzoles. M. Dubois a omis l'opinion de M. Lanciani qui, dans les Annali de 1868, p. 177 et 192, l'a revendiquée pour le Portus Ostiensis Augusti. Je n'aurai garde de m'aventurer au petit jeu de cette controverse un peu vaine. Mais j'estime aussi probable que les deux autres l'identification que propose M. Lanciani. S'il m'arrivait de la reprendre à mon compte, j'insisterais sur les deux arguments que voici: 1) On invoquera contre elle qu'il y avait au Portus Ostiensis deux môles semi-circulaires, alors qu'il n'y en a qu'un - et rectiligne - sur la peinture de Bellori. Mais on peut toujours soutenir que la peinture est inachevée à gauche, et observer, d'autre part, que sur le schème du Portus que présente la Table de Peutinger l'un des deux môles est droit. - 2) A la hauteur de l'extrémité du môle on voit, sur le dessin de Bellori, une île surchargée de monuments et pourvue d'une jetée supplémentaire. M. Dubois prétend bien qu'il a dû y avoir une île de cette sorte dans la baie de Pouzzoles, encore qu'il confesse que personne ne l'ait vue, même au Moyen-Age. Mais M. Huelsen, dont elle gêne considérablement l'hypothèse (emporium de l'Aventin) se contente de répondre qu'elle gêne autant l'hypothèse adverse (Pouzzoles). Elle seconde, au contraire, l'hypothèse du Portus Ostiensis, puisque mes récents sondages de Porto, sur le Monte dell'Arena et aux alentours, ont établi que l'île du phare, attestée d'ailleurs par Pline l'ancien, Suétone, les monnaies et le bas-relief Torlonia: a) « doveva svilupparsi verso il porto sulla stessa linea dei moli poco innanzi il mare » (J. Carcopino, Notizie, 1907, p. 736) - b) détachait d'elle « un muro di 25 piedi romani di spessore, che faceva da molo supplementare » (ibid., p. 737).

(2) Je ne compte pas les marques de brique dans ce chiffre rond.

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Et si au coude que forme la rue C, sur le mur qui s'élève entre C 1 et C 9, une enseigne subsiste, qui, sans doute, servit à dénommer le vicus, elle ne saurait aider à en déterminer le caractère. Au centre d'un châssis oblong, de terre-cuite ordinaire, encastré dans les briques du mur, s'inscrit un bas-relief de terre-cuite coloriée (1). Il représente, peinte en rouge (moins la ceinture, plus fonçée). la divinité tutélaire du quartier; sa tête a disparu, mais les attributs suffisent à l'identifier. De la main gauche elle tient la corne d'abondance; de la droite le gouvernail. Ce n'est point Cérès - Cérès Augusta, personnification religieuse des services publics d'approvisionnement (2) - mais la Fortune qu'invoquent, sans distinction, tous les marchands. Toutefois on ne risquera guère de se tromper en parlant, avec MM. Lanciani et Vaglieri, de magasins annonaires. Ostie a été le port par lequel Rome impériale importa sa subsistance. Forcément, les plus vastes entrepôts qui y furent fondés ont dû, pour la majeure part, recéler, avant qu'elles fussent dirigées sur la Ville, les denrées de première nécessité distribuées à sa po-

(l) Cf. la photo, fig. 12, p. 426.

(2) Cf. C. I. L., XIV, 409, 1. 12.

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pulation: l'huile et, surtout, le blé. Non seulement, du reste, on a retrouvé en plusieurs endroits - en H où on peut les voir encore (1), dans les cellae de la rue A où M. Lanciani nota leur présence en 1870 (2) - un grand nombre de dolia enterrés dans le sol suivant l'usage antique bien des fois décrit (3), et légalement consacré (4); mais au dessus de la porte de la salle C 13 se détachent, en un haut relief fait de briques convenablement ajustées, des emblèmes qui ne trompent point: sur l'arc même de l'entrée, un court bâton, muni d'un manche à sa partie supérieure, arrondi du bout, et légèrement renflé en sou milieu; au dessus, dans le fronton qui la surmonte, une mesure deux fois cerclée à sa base (5). Ce sont les insignes des mensores frumentarii.

Dans la curieuse peinture qui ornait une des tombes de la voie Laurentine, à Ostie, et où l'on assiste au déchargement de 1'Isis Geminiana, un mensor frumentarius veille à ce que le portefaix vide dans le modius officiel la ration de blé réglementaire (7); de même, sur la mosaïque qui pave, au Forum d'Ostie (8), la schola du collège des mensores frumentarii, l'un d'entre eux remplit attentivement son office, à genoux, la. main gauche appuyée aux rebords

(1) Cf. supra p. 398, n. 1.

(2) Cf. supra p. 406.

(3) Voir, en dernier lieu, J. Carcopino, Ostiensia I, dans les Mélanges d'arch. et d'hist., 1909, p. 359 sqq.

(4) Dig., XVIII, 1, 76: « Paulus libro sexto responsorum. Dolia in horreis defossa si non sint nominatim in venditione excepta horreorum venditioni cessisse videtur ».

(5) Cf. la photo, fig. 13, p. 428.

(6) Cf. C. I. L., XIV, 172, 303, 309, 363, 364, 438, etc. Sur leurs attributions, consulter Cagnat, vo mensores, dans le Dictionnaire des Antiquités, III, 2e partie, p. 1727.

(7) Annali, 1866, pl. T, fig. 2; B. Nogara. Le Nozze Aldobrandine e le altre pitture antiche conservate nei musei pontifici, Milan, 1907, pl. XLVI et p. 71.

(8) J'entends le Forum situé derrière le théâtre, fouillé en 1880-1881 par M. Lanciani et plus récemment par M. Vaglieri, restauré - en un splendide projet - par M. Pierre André. Il y avait, à mon sens. un autre Forum devant le grand Temple: le vrai Forum d'Ostie.

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du modius, la regula dans la main droite (1). Si donc la porte C 13 donnait accès aux bureaux des vérificateurs de l'annone, l'on peut être sûr que la plupart des cellae qui les entouraient furent remplies de grain annonaire.

(1) Lanciani, Notizie, 1881, p. 119. Cf. les représentations analogues mises au jour dans d'autres scholae de ce forum par M. Vaglieri et décrites dans les Notizie, 1908, p. 333-334. « Nel centro [d'une mosaïque blanche] si vede in nero un modio (0m,30 x 0m,31) con tre spighe (0m,62), fig. 3 ». Sur la mosaïque de la schola voisine, « si vede un modio con tre piedi e due manichi e sopra il regolo ». On peut comparer les fig. 4916 et 4917 de l'article précité de M. Cagnat.

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Cependant, il ne faudrait pas exagérer la spécialisation des docks d'Ostie. Par exemple on possède deux exemplaires d'une brique portant comme timbre la suscription suivante: horeis (sic) Postumianis Caesaris n(ostri) A(ugusti) (1). Dressel s'accorde avec Marini pour situer les horrea Postumiana près d'Ostie, ou plutôt à Ostie même, et il se demande si les briques marquées à cette estampille ont été cuites pour construire les magasins, ou si les magasins servaient de hangar à ces briques. Si cette seconde interprétation, que d'autres exemples autorisent (2), est la bonne, les briques se sont appelées du nom de leur remises: [lateres de] hor[r]eis Postumianis, et quelques-uns au moins des horrea d'Ostie leur avaient été réservées. D'autre part, il est très vraisemblable qu'à partir du règne d'Hadrien, ainsi que l'a affirmé M. Gatti en publiant la lex horreorum et en la rapportant aux horrea Galbiana (3), l'administration ouvrit les horrea fiscalia aux particuliers qui, moyennant rétribution tarifée, et contre certaines garanties, pouvaient louer tout ou partie de cella, comme débarras ou comme entrepôt, comme salle de vente ou comme garde-meuble. Et cette faculté laissée par le pouvoir au public a sûrement entraîné jusque dans les docks d'Ostie une certaine variété pittoresque.

Leur disposition même semblait la prévoir. Ailleurs, dans les horrea Galbiana, si l'on s'en rapporte au dessin de Fabretti, dans les horrea de Lycie publiés par M. Petersen (4) les différentes cellae sont reliées entre elles. A Ostie, les communications sont rares (entre B 11 et B 12, par exemple) et d'apparition tardive: la séparation est la règle. Rien ne s'opposait à ce que l'on allât emmagasiner la même denrée dans une suite de cellae voisines; mais rien ne s'opposait non plus à ce que deux entrepôts contigus ren-

(1) C. I. L., XV, 4.

(2) Cf. C. I. L., XV, 409.

(3) Gatti, Bull. comm., 1885, p. 110 et suiv. Cf. Henzen qui parle même de Trajan (Mittheilungen des d. k. Instituts in Rom, 1886, p. 43).

(4) Ap. Thédenat, loc. cit., fig. 3896.

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fermassent deux produits différents. L'indépendance réciproque des docks entre eux exprime la diversité de leurs fonctions et s'y adaptait par avance. - De même chaque cella est à deux étages, distribution qui la suppose aussi: on n'eût point perdu dans chacune des cellae l'espace occupé par la voûte et le plafond intermédiaires, si du haut en bas l'on y avait toujours entassé les mêmes choses. On devait, au contraire, garer au rez-de-chaussée les matières brutes, les denrées pesantes, et réserver l'étage supérieur moins accessible mais moins résistant aux fournitures plus légères et aux objets plus précieux (1). Au surplus, quelques cellae font plutôt l'impression de boutiques pour marchands au détail que d'entrepôts pour négociants en gros (2); je pense notamment à la pièce C'3, que pavent grossièrement, comme dans la rue, d'irréguliers pentagones de lave, et dont les murs - si l'on en juge par les raies rouges, jaunes et bleues qui en strient encore le fond blanc - furent jadis ornés de riantes peintures (3). Ce n'était pas un horreum: à quoi bon peindre un grenier? Ce n'était pas un triclinium: on l'eût sans doute un peu mieux carrelé. C'est beaucoup plus probablement une taberna, à la fois magasin, boutique et demeure.

Aussi bien, tout le quartier a dû contenir jadis une nombreuse population. D'abord, le côté Est de la rue A était habité. L'immeuble indiqué d sur le plan a beau n'avoir ni péristyle, ni atrium, ni compluvium, mais seulement de très grandes fenêtres, à cause, peut-être, comme le prétend M. Lanciani (4), que le site était assombri par l'ombre des grands entrepôts voisins, à cause aussi et surtout qu'il fallait bien suppléer de quelque manière à

(1) Cf. Lanciani, Notizie, 1885, p. 224.

(2) En français, d'ailleurs, le mot magasin a les deux acceptions.

(3) Lorsque, en 1907, j'ai étudié cette pièce, j'y ai même aperçu, dans l'angle Sud-Ouest, un petit morceau de stuc: ou le plafond était stuqué, ou les différents compartiments de peinture étaient séparés les uns des autres par des moulures en stuc.

(4) Lanciani, Notizie, 1878, p. 138.

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l'absence du compluvium, de l'atrium et du péristyle, par où la lumière pénètre à flots dans toutes les pièces de la domus pompéienne (1). Peu importe qu'il procède ou non d'anciens docks transformés, qu'une de ses pièces ou non ait été aménagée en boutique (2): ce fut à n'en pas douter, sous la forme où il se présente, une maison de rapport, divisée horizontalement en trois logements autonomes, puisque des modillons en travertin marquaient, ou marquent encore, l'emplacement de trois étages, et que les escaliers qui conduisaient aux deux étages supérieurs ouvrent directement sur la rue. - Ainsi, à moins de cinq mètres des docks s'élevaient des habitations.

Il y en a eu dans les docks mêmes: à l'étage supérieur des horrea qui s'alignent à l'Ouest de la rue A, au moins à partir du jour où furent établis les tuyaux de descente qui subsistent en A 3 et A 4 (3); et au rez-de-chaussée de l'horreum, non fouillé, que ferme le mur s à l'Ouest de la place D: dans le parement est, en effet, fixée une plaque de terre-cuite oblongue et légèrement concave, où, sculpté en faible relief, s'enroule un serpent, génie protecteur du sol et du foyer, véritable Lare familier par qui les maux étaient détournés de la maison même et de ceux qu'abritait son toit (4). Il

(1) C'est, on le sait (cf. supra, p. 407), l'opinion de M. Lanciani. J'hésite à la partager, malgré le poids d'une telle autorité, car 1) dans le plan de A d, je ne retrouve pas les lignes simples des horrea voisins; 2) les peintures me paraissent du second siècle comme la maçonnerie.

(2) Je vois, en effet, dans les graffiti que M. Lanciani y déchiffra, comme une sorte d'agenda mural à l'usage du commerce. Cf. C. I. L., XIV, 2037 et 2038.

(3) Cf. supra, p. 407.

(4) Voir la fig. 14, p. 432. M. Victor Chapot dans l'article très documenté qu'il a fait récemment paraître sur le mot signum dans le Dictionnaire des Antiquités ne cite pas cette représentation pourtant si fréquente, en peinture, à Pompéi. C'est que le serpent, qu'affichent aujourd'hui certains pharmaciens de la péninsule, n'était pas plus une enseigne, à proprement parler, que l'oeil du bas-relief Torlonia - ou que le fer à cheval que j'ai vu naguère accroché à la porte du gardien de l'évêché de Porto. - Sur le sens de ce serpent prophylactique, cf. Mau, op. cit., p. 280.

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y a plus: tous les docks ont été construits pour servir en même temps de demeure: car à quoi donc aurait pu servir la corniche de briques que nous avons reconnue dans les cellae de toutes les rues, à peu près à mi-chemin entre leur plancher et leur voûte, sinon, évidemment, à supporter un entresol auquel on aurait accédé, de l'intérieur de chacune d'elles, par un court escalier de bois? La pergula, coutumière dans les tabernae de Pompéi (1), me parait avoir été aussi inséparable des docks d'Ostie. Elle y a peut-être tenu une place plus grande encore si l'étage de chaque horreum avait sa pergula, comme le rez-de-chaussée. Elle y a sûrement joué le même rôle d'habitation bon-marché pour le peuple des petites gens.

L'étude des ruines d'Ostie n'a donc pas seulement pour intérêt de nous révéler des types de logement beaucoup plus rapprochés de nos conceptions modernes que de la villa gréco-romaine que nous ont montrée, à des milliers d'exemplaires, les fouilles de Pompéi,

(1) Cf. dans Mau, op. cit., p. 302, la restauration qu'il a proposée pour la pergula de la casa del fauno, et, ibid., p. 507, l'inscription Pompéienne qu'il a publiée à nouveau: « insula Arriana | Polliana Cn. Allei Nigidi Mai | locantur ex k(alendis) iulis primis tabernae cum pergulis suis ».

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et que Vitruve nous a décrite (1). Elle nous fait comprendre en même temps une des principales différences qui séparent les grands ports de l'antiquité d'un de nos grands ports contemporains. Les docks du Havre, pour ne citer qu'eux, forment à l'une des extrémités de la ville un quartier solitaire. Les ouvriers y vont, y travaillent, puis en reviennent. Il en fut tout autrement pour les docks d'Ostie. Les horrearii, les saccarii (2), les catabolenses (3), les navicularii (4), les mercatores frumentarii (5), tout ce mande de patrons, d'employés, de tâcherons et d'esclaves qui les emplissait de son labeur, y vivait sa vie tout entière, et il semble que l'histoire d'Ostie tienne pleinement entre leurs murailles ruineuses et sous leurs voûtes défoncées.

Au reste, l'animation d'Ostie ne devait ressembler que d'assez loin au bruit dont retentissent les grands ports Européens d'aujourd'hui. - D'abord, elle était comme assourdie et morcelée par l'ordonnance de ces bâtiments savamment répartis en séries, non seulement distinctes les unes ses autres, mais, pour ainsi dire, impénétrables les unes aux autres. La place D, la rue B, les rues jumelées C et C' constituent comme trois cohortes (6) indépendantes, dont chacune rallie autour d'elle un certain nombre d'horrea sans aucune relation avec les horrea rattachés à la cohors voisine.

Les brèches (en B m' et B m), par lesquelles on passe de la rue A dans la rue B, de la rue B dans la rue C', sont modernes.

(1) Cependant Vitruve 1) ne dissimule pas qu'il y a presque autant de types d'habitation qu'il y a de catégories d'habitants; 2) prévoit, recommande expressément la suppression de l'atrium dans les demeures à l'usage du commun. Cf. I., 5, 7: « Ad usum conlocabantur et omnino faciendae sunt aptae omnibus personis aedificiorum distributiones », et VI, 7, 6: « His qui communi sunt fortuna, non necessaria magnifica vestibula, nec tablina, neque atria ... ».

(2) Sur les saccarii, v. l'inscr. des Notizie, 1888, p. 228. L'épigraphie d'Ostie n'a pas encore mentionné d'horrearii: mais ce silence est purement fortuit; cf. C. Theod., XIV, 23.

(3) Cf. Seeck etc., dans la Real-Encycl. de Pauly-Wissowa, III, 1872.

(4) Cf. C. I. L., XIV, 278, 279, 409, 3603.

(5) Cf. C. I. L., XIV, 161, 303, 4142, 4234.

(6) Sur ce sens du mot cohors, cf. Thédenat, loc. cit., p. 271.

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C' et D n'ont jamais communiqué que par C' 4. Les rues et place A, B, C, D n'étaient reliées que par la rue G ou par le fleuve, c'est-à-dire par leurs extrémités. Si donc les magasins n'étaient pas spécialisés suivant les denrées, une rigoureuse division du travail s'imposait à l'emmagasinage. - Puis la besogne ne s'effectuait, pour ainsi dire, qu'à dos d'hommes. D'une part, la ceinture continue de portiques dont s'entouraient les horrea s'opposait à l'emploi des treuils. D'autre part, si de lourds chariots auraient aisément circulé en B, il leur était interdit par la hauteur des seuils à gravir (notamment en C' 4) et par l'étroitesse des passages à franchir (notamment à l'angle formé par la rencontre du dernier pilier de la rue C' avec les murs qui longent F' à l'Ouest) d'entrer en D, en C', d'avancer dans la partie méridionale de la rue C. C'est à peine si, sous les galeries de toutes ces avenues, on imagine l'allée et venue des mules bâtées. Aussi bien les deux documents figurés les plus précis que nous possédions sur le mouvement du port d'Ostie, le bas-relief du musée Torlonia (1), et la peinture que j'ai empruntée plus haut à la description des tombes de la voie Laurentine (2), ne mettent en scène, l'un et l'autre, que des débardeurs. - Enfin le chargement et le déchargement des marchandises ne s'opéraient pas à l'air libre. Il y a des chances pour que C et C' aient été des rues couvertes. Dans tous les cas les portiques devaient suivre les magasins, comme dans la rue B, jusqu'aux quais, sur le fleuve. I)e même que les souks et les bazars le sont encore aujourd'hui dans les villes Arabes, jadis les docks d'Ostie étaient partout défendus contre les averses et surtout les ardeurs d'un soleil trop brûlant.

(1) N. 430 du catalogue du musée Torlonia par C. L. Visconti. Cf. J. Carcopino, Ostiensia I, loc. cit., p. 349, n. 1.

(2) Voir supra, p. 427. - On peut induire la même conclusion de la peinture des catacombes de Domitille, décrite, d'après Mgr. Wilpert, par Thédenat, loc. cit., p. 271, n. 10, et où n'apparaissent aussi que des saccarii.

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Et ce dernier trait achève de restituer sa véritable physionomie à l'ancien port de Rome apparenté de moins près à Gênes ou à notre Marseille qu'à Jaffa, Beyrout et Tanger.

*
* *

Quelle date assigner aux docks d'Ostie?

Et d'abord n'y a-t-il pas lieu de distinguer diverses époques dans les diverses parties qui composent ce quartier? Assurément on y repère les matériaux les plus hétéroclites: des murs de tuf du dernier siècle de la République ou des premières années de l'Empire, des murs en opus reticulatum, qu'on ne peut faire descendre plus bas que la dynastie Flavienne, des murs où le réticulé est tendu de chaînes latérices et qui, forcément, appartiennent à la première moitié du IIe siècle, enfin des murs entièrement de brique dont les plus anciens remontent à la même période, et les plus récents sont peut-être du temps d'Honorius ou du siècle de ... Charlemagne (1). Au témoignage de M. Lanciani, un seuil de A d a été taillé dans une base honorifique au nom de Marc-Aurèle (ou de Verus) (2). M. Vaglieri, en fouillant les chambres D 12 et D 13 en a extrait des monnaies du VIIe siècle pêle-mêle avec des fragments de sarcophage (3). L'année précédente, en faisant dégager la chambre A 5, M. Gatti avait eu l'étonnement d'y découvrir neuf amphores à vin (4) fichées debout, les unes contre les autres,

(1) Sur la place - et la proportion - de ces multiples structurae, cf. la description qui précède.

(2) Cf. supra, p. 403, n. 4.

(3) Vaglieri, Notizie, 1906, p. 448. M. Gatti avait, l'année précédente, exhumé des décombres qui obstruaient D 12 un buste de femme de l'époque des Sévères que j'ai eu l'occasion de voir en 1906 remisé au casone del sale.

(4) J'en ai pris la photographie, et je l'ai remise peu de temps après à M. Gatti. Ces amphores mesuraient chacune 1m,22 de haut. Sur l'une, on lut le graffito MAR.

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sur le rebord inférieur de la fenêtre qui éclairait la pièce, attestation nouvelle et difficilement récusable de l'enfouissement systématique auquel, vers le milieu du IXe siècle, au premier bruit d'une razzia Sarrasine, les misérables habitants de Grégoriopolis condamnèrent Ostie antique, avant de déserter le refuge qu'ils s'étaient improvisé dans ses murs (1).

Enfin les transformations de détail sont innombrables: ici, c'est un mur qui, au plein d'un parement réticulé, étale une large pièce

(1) Sur Grégoriopolis, cf. les textes allégués par Tomassetti, Arch. rom. di stor. patr., 1897, p. 51-52. M. Barnabei a très justement conclu, dans les Rendiconti dell'Accademia dei Lincei, 1909, p. 154-155, et 235-236, à la réalité de cet enfouissement. De fait, la date et les circonstances nous en ont été transmises par le Liber Pontificalis: sous le pontificat de Serge II, entre 844 et 847 par conséquent, « venerunt Saraceni ad praedictam urbem quam illi habitatores obstruxerant et effugerant » (éd. Duchesne, II, p. 99). Et surtout, les fouilles que M. Vaglieri poursuit depuis quatre ans, en ont, à chaque pas, multiplié les preuves. C'est ainsi que presque toutes les chambres contiennent des débris de sarcophages, et qu'on a transporté dans le voisinage du théâtre, un cimetière entier. M. Vaglieri (Notizie, 1910, p. 136) a préféré expliquer ces anomalies par l'hypothèse d'un four à chaux qu'on serait venu précisément établir en cet endroit. Mais si cette supposition peut, à la rigueur, justifier l'amas de décombres constaté derrière le théâtre, elle ne saurait rendre compte du phénomène général dont il n'est qu'un aspect particulier. En outre, elle empêche de comprendre le fait que deux épitaphes concernant le même défunt aient été trouvées en deux places différentes, comme celles de Vettia Q. f. Severa (C. I. L., XIV, 433 et Notizie, 1910, p. 187), et aussi, je suppose, celles d'A. Egrilius Onesimus (C. I. L., XIV, 443 et Notizie, 1910, p. 107). On conçoit que dans un tombeau de famille le même nom revienne deux fois: sur la plaque familiale scellée, par exemple, au fronton du tombeau, et sur la plaque fixée au dessous de chaque colombaire. Mais pourquoi et comment ces deux plaques auraient-elles été séparées? Vraisemblablement, des faiseurs de chaux eussent commencé par placer leur four à proximité de la nécropole à dévaster. Sinon, ils y auraient emporté tous les marbres, car tous les marbres sont bons à faire de la chaux, petits ou gros. Il est, au contraire, tout naturel que des fugitifs, cherchant à obstruer leurs anciens abris, n'aient enlevé que les plus considérables et les plus lourds. Or, précisément, ce sont les épitaphes collectives qui, dans les deux cas précités, ont été retrouvées loin des nécropoles.- Une pareille fin n'est pas isolée dans l'histoire: d'autres ports de la Méditerranée ont fini comme Ostie,

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latérice (1), là ce sont des ouvertures qui ont été pratiquées entre deux salles qui ont commencé par ne point communiquer (2); là, au contraire, ce sont des portes qu'on a murées sur le tard (3). Mais il était impossible qu'un tel ensemble monumental traversât sans modification plusieurs siècles d'histoire. Ces retouches infimes, ces discordances inévitables attestent seulement l'importance du rôle qu'il u joué, les longs services qu'il a rendus. Elles ne parviennent pas à effacer le plan dont il procède et dont les lignes maîtresses se suivent sur le terrain aussi clairement qu'au premier jour.

1o) Une même orientation a présidé à la création de toutes ses parties. Tous les coudes sont en équerre. A, B, D, F, F' d'une part. G et G', de l'autre sont parallèles. Seules divergent la rue C et la section contiguë de C, mais elles sont inscrites ensemble dans un carré presque parfait, qui est formé au Sud par C' 1, C 2, C' 3, C' 4, C' 5, C' 6, C' 7, C' 8, au Nord par C 11, C 12, C 13, C 14, C 15, et dont les lignes correspondent aux deux grandes directions perpendiculaires entre elles qui s'imposent partout ailleurs. Selon les idées des anciens, cette orientation est la plus favorable que l'on puisse, sur cet emplacement, assigner à des horrea. Elle est telle, en effet, que les angles de chacun de leurs « îlots » regardent exactement le Nord-Est, le Nord-Ouest, le Sud-Est et le Sud-Ouest, c'est-à-dire les points d'où soufflent, à Ostie, les vents les plus terribles: la tramontana, le maestro, le scirocco, le libeccio (4). Ainsi le précepte

et à des dates beaucoup plus voisines de nous. C'est ainsi que le havre de Montpellier, Maguelonne, a été détruit, en 1633, sut l'ordre de Louis XIII, par précaution contre les Barbaresques. Il n'y reste d'intact que la cathédrale: à Ostie, le capitole a, de même, surmonté tous les enfouissements.

(1) Mur Ouest de C' 9.

(2) Par ex., entre B 11 et B 12.

(3) Toutes ces fausses portes ont été soulignées sur le plan. Elles sont nombreuses surtout à l'Est de la rue A.

(4) Sur les équivalents antiques de ces vents, voir la rose des vents établie par Kaibel, Die antiken Windrosen, ap. Hermes, XX, p. 600. Les Romains redoutaient par dessus tout l'africus (libeccio): creberque procellis

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de Vitruve a été observé à la lettre : « convertendae sunt ab regionibus ventorum directiones vicorum: uti advenientes ad angulos insularum frangantur repulsique dissipentur » (1). Et, d'autre part, elle est cause que, exception faite de la pièce F 16, incomplètement déblayée, et des salles C 11, C 12, C 13, C 14, C 15, probablement affectées aux vérificateurs de l'annone (2), aucune cella n'est exposée au midi. Les docks d'Ostie échappaient donc à l'inconvénient qu'a également signalé Vitruve: « Granaria quae ad solis cursum spectant bonitatem cito mutant » (3).

2o) On retrouve un peu partout les traces d'une décoration homogène. Dans chacun des piliers de la rue B est engagé un pilastre de briques mouluré comme sont moulurés les montants des

Africus (Virg., Enéide, I, 85), et le circius (maestro) qui faillit, en 43, provoquer le naufrage de l'Empereur Claude à la sortie d'Ostie (Suétone, Claude, 17). Cf. Pline, N. H., II, 120. Du reste, jadis à Ostie, comme aujourd'hui à Fiumicino, les vents de S. W. et N. W. étaient tous deux traversiers.

(1) Vitruve, I, 11, 30.

(2) Cf. supra, p. 427.

(3) Vitruve, 1, 7, 4.

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portes qui donnent sur la rue A. On passe de la rue G sur la place D sous un fronton avec baguettes et denticules modelés dans la brique dont le type se retrouve, complet, au dessus de la pièce C 13 (1). Enfin, il est vraisemblable qu'un même enduit a revêtu, au dehors, tous les parements. L'intérieur des cellae pouvait différer: certaines furent ornées de sujets (2) tandis que d'autres étaient simplement recouvertes d'une couche de cocciopesto (3). Mais à l'extérieur, elles avaient toutes reçu un badigeon blanchâtre, dont le ton devait s'appareiller aux marbres du grand temple, et dont j'ai relevé des traces sur les points les plus éloignés les uns des autres: sur les murs de fond de F15, F 17, F 18 et sur les piliers de la rue B et de la place D.

(1) Comparer à la fig. 13, p. 428, les fig. 15 et 16 p. 438 et 439.

(2) Cf. A d, et C' 1.

(3) Dans F 15 et dans plusieurs cellae de la rue B: c'est l'opus signinum que Varron (R. R., 1, 57) et Caton (R. R., 92) recommandent pour préserver les greniers de l'humidité. Quant à l'extérieur, M. Lanciani, dans ses notes, écrit, à la date du 7 février 1870: « Le pareti forse nemmeno coperte d'intonaco ». Telle fut aussi ma première impression; mais les vestiges constatés m'ont fait changer d'avis. Il en fut des magasins d'Ostie comme de ceux de Timgad, dont M. Cagnat écrit, op. cit., p. 9: « les murs étaient revêtus d'un crépi qui n'existe plus ».

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3o) Enfin il n'y a, pour ainsi dire, qu'une seule construction: partout mêmes portiques, mêmes voûtes. mêmes corniches intermédiaires, même épaisseur de murs (1), et, sauf utilisation d'anciennes maçonneries ou rapiéçages tardifs, c'est partout, enfermant le même blocage, le même appareil: latérice dans les piliers et les murs de façade, mixte dans les murs de fond et les murs latéraux.

De cette identité dans la structure résulte, avec l'unité du plan suivi, l'âge de sa mise à exécution. En effet, on ne peut pas plus séparer les cellae des portiques que les murs de front des murs de fond. Le tout est de même époque. Or l'appareil mixte, que j'ai décrit plusieurs fois déjà, est l'appareil type de la villa d'Hadrien à Tivoli (2). D'autre part, c'est sous le règne d'Hadrien qui bâtit le temple de Vénus et de Rome (3) et transforma le Panthéon d'Agrippa (4) que l'opus latericium commence d'être couramment employé (5). Le quartier des docks date donc du règne d'Hadrien (117-138).

Les marques de briques qui en proviennent confirment ce résultat, et le précisent (6).

(1) 0m,50 à 0m,60 (exception faite de la balustrade réticulée de la place D).

(2) Sur les diverses structurae de la villa Hadriana et leur âge respectif, cf. Winnefeld, Die villa des Hadrian bei Tivoli, Berlin, 1895 (Ergänzungsheft III des Jahrb. des k. d. arch. Instituts), p. 26-27.

(3) Cf. Huelsen, Le Forum Romain (trad. Carcopino), p. 243.

(4) Vita Hadriani, 19.

(5) Cf. la chronologie, très juste dans l'ensemble, qu'a résumée Cagnat, vo murus, dans le Dictionnaire des Antiquités, III, 2, p. 2056-2058; il est certain, toutefois, que la structura en briques cuites était inconnue à l'époque de Vitruve (Choisy, Vitruve, Paris, 1909, I, p. 7).

(6) La difficulté était double; elle consistait à retrouver la provenance des marques non seulement Ostienne, mais localisée dans Ostie, au quartier des docks, et à dresser la statistique numérique des exemplaires que nous possédions de chacune de ces marques avec cette provenance. Pour ces dernières années, la provenance est soigneusement indiquée par M. Vaglieri dans les Notizie degli scavi. Pour les années antérieures, j'ai procédé par tâtonnements, en combinant les notes manuscrites de M. Lanciani avec le dépouillement méthodique auquel je me suis livré du C. I. L., XV. Quand le C. I. L. donne la provenance Ostienne et la date de dé-

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Il n'y a qu'une brique timbrée, évidemment contemporaine des réaffectations qu'ont subies les maisons de la rue A, qui soit postérieure à Dioclétien (1). Une autre, spéciale aux maçonneries d'Ostie, est de date inconnue (2). Quelques briques à estampille ont été cuites vers le milieu du premier siècle: huit en tout (3). Toutes les autres s'intercalent entre les dernières années du règne de Trajan et la fin du règne d'Hadrien.

Une vingtaine d'entre elles sont assignées par Dressel à l'aetas Hadriana sans autre spécification (4). Deux, sur la chronologie des quelles Dressel ne se prononce pas, peuvent y être, à coup sûr, rapportées également (5). Les autres datent:

1 de 114 ap. J. C. (6),
32 de 115 (7),
2 de 116 (8),

couverte d'une marque que les notes de M. Lanciani revendiquent pour les docks, non seulement je la leur attribue, mais je leur ai attribué encore, même si les notes de M. Lanciani sont muettes, les autres marques Ostiennes découvertes à la même date. Quand les notes de M. Lanciani donnent un chiffre élevé d'exemplaires, je l'adopte, quel que soit le chiffre d'exemplaires cités par le C. I. L. Quand les notes de M. Lanciani ne donnent pas le chiffre des exemplaires d'une marque trouvée dans les docks, j'attribue aux docks tous les exemplaires de cette marque qui figurent au C. I. L., comme provenant d'Ostie. - Les numéros des reférences qui vont suivre sont ceux dut C. I. L., XV. S'ils sont cités seuls, c'est que la provenance n'est indiquée qu'au C. I. L., XV.

(1) 1569 a; cf. Lanciani, Notizie, 1880, p. 55.

(2) 2156; cf. Vaglieri, Notizie, 1906, p. 447.

(3) 2 ex. 933 (Notizie, 1906. p. 448) - 2 ex. 658 a - 1 ex. 658 b (Notizie, 1906, p. 447) - 1 ex. 658 c (notes Lanciani) - 1 ex. 147 (notes Lanciani).

(4) 2 ex. 525 c (Notizie, 1906, p. 448) - 2 ex. 1519 - 1 ex. 2197 (Notizie, 1910, p. 447) - 13 ex. 1298 (au C. I. L., et notes Lanciani) - un chiffre indéterminé d'ex. 876.

(5) 2 ex. 4, trouvés à Ostie dit le C. I. L., XV, dans les docks et en grand nombre ajoutent les notes Lanciani. Cf. infra, p. 445.

(6) 1 ex. 19 b (Notizie, 1906, p. 448).

(7) 1 ex. 20 a - 30 ex. 22 a - 1 ex. 22 b.

(8) 2 ex. 23.

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1 de 117 ap. J.C. (1),
4 de 120 (2),
1 d'environ 120 (3)
28 de 123 (4),
55 d'environ 123 (5),
7 d'entre 123 et 125 (6),
1 d'entre 123 et 126 (7),
2 d'entre 120 et 129 (8),
16 d'entre 123 et 134 (9),
7 de 134 (10),
plusieurs (11) d'entre 134 et 152 (12).

Or les briques n'étaient mises sur chantier que quelques années après leur cuisson, deux ans au minimum si l'on s'en rapporte au texte, souvent cité, de Pline l'Ancien (13), davantage si l'on adopte les réserves de Dressel (14). Par conséquent, entreprise dès le début du règne d'Hadrien, entre 118 et 120, la construction des docks d'Ostie continuait encore quand mourut cet empereur, en 138. Il en fut probablement des entrepôts comme de ces thermes maritimes dont une inscription d'Ostie nous apprend que, commencés sous Hadrien, ils furent achevés la seconde année du règne d'Antonin le Pieux,

(1) 1 ex. 25 c (Notizie, 1906, p. 448).

(2) 4 ex. 552.

(3) 1 ex. 1348 b (Notizie, 1906, p. 448).

(4) 1 ex. 319 - 6 ex. 846 - 1 ex. 847 - 19 ex. 1214 - 1 ex. 1215.

(5) 5 ex. 693 - 2 ex. 803 - 48 ex. 1037.

(6) 4 ex. 361 - 3 ex. 362.

(7) 1 ex. 376 (notes Lanciani).

(8) 4 ex. 1347 (2 au C. I. L. XV et 2 ap. Notizie, 1906, p. 448).

(9) 16 ex. 495 (Notizie, 1906, p. 448).

(10) 3 ex. 706 (notes Lanciani et C. I. L.) - 4 ex. 1365 (C. I. L. et notes Lanciani).

(11) « moltissimi » d'après les notes Lanciani.

(12) 2197.

(13) Pline, N. H., XXXV, 170: « Aedificiis [lateres] non nisi bimos probant ».

(14) Préface de C. I. L., XV, p. 9, n. 3.

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en 139 (1). Par la correspondance de Gavin Hamilton avec Lord Townley, nous savons que cette inscription a été trouvée, avec d'autres fragments épigraphiques concernant les mêmes thermae maritimae, au lieu dit « porta Marina » (2). Les ruines qui, situées à 800 m. au moins au Sud-Ouest du grand temple, gardent cette dénomination (bien que les hauts piliers, qu'on voit encore aujourd'hui tendre, à 6 m. au dessus du sol, des moignons d'arcs dont la réunion soutenait primitivement une voûte hardie, n'aient, en réalité, rien qui ressemble à une porte (3)), en faisaient certainement partie (4); et l'on s'explique qu'ici et là, à la porta Marina et près du Tibre, l'oeuvre ait empiété sur deux règnes. C'est qu'apparemment elle ne se bornait ni là aux thermae maritimae, ni ici aux entrepôts: les travaux s'étendirent à la cité tout entière.

Et sans doute est-ce Hadrien, personnellement, qui en conçut l'idée, et, à ses frais, la réalisa. Une des inscriptions les plus importantes que nous possédions pour l'histoire d'Ostie lui fut dédiée en 134 par la « colonia Ostia conservata et aucta omni indulgentia et liberalitate eius » (5). Quelque conjecture que l'on adopte sur les causes qui, vers la fin du règne de Trajan, auraient mis la colonie Ostienne en péril, que l'on pense à un incendie semblable à celui qui plus tard vint lécher le fond de la salle D 1, ou à un tremblement de terre analogue à celui dont on dirait que furent secoués certains piliers des portiques, ou à une de ces inondations (6) dont M. Vaglieri a, pendant ces dernières années, enregistré

(1) C. I. L., XIV, 98.

(2) Cf. Smith, ap. Journal of hellenic Studies, 1908, p. 315. n. 1.

(3) C'est pourquoi Dessau, C. I. L., XIV, 2038, écrit: « Certe portam marinam Ostiae nullam novi ».

(4) Une marque de brique trouvée à la porte marine date de 125. Cf. C. I. L., XV, 1452.

(5) C. I. L., XIV, 95.

(6) Les effets de ces inondations se faisaient sentir jusqu'à la Capocotta (cf. l'inscription publiée par M. Ghislanzoni, Notizie, 1908, p. 476. Il y a eu, sous le règne d'Hadrien, une inondation du Tibre (Vita Hadr., 21).

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un peu partout les dégats, ou sondé les alluvions (1), ou bien qu'instruit par une histoire plus récente, par le souvenir des luttes opiniatres et le spectacle des collaborations antagonistes entre ports voisins comme Bruges et Ostende ou La Rochelle le et La Pallice, on se contente de songer à un danger moins impressionnant, sinon moins redoutable: la concurrence de plus en plus active du Portus Augusti, que Trajan venait de doter d'un nouveau bassin et d'une ceinture d'horrea, et qui menaçait Ostie non d'un bouleversement soudain ni d'une effrayante catastrophe, mais d'une mort silencieuse par consomption lente. - il est incontestable qu'Hadrien a sauvé Ostie en l'agrandissant: colonia Ostia conservata et aucta. Selon toute vraisemblance, il a jeté bas les anciens docks. et aménagé de nouvelles cellae, plus spacieuses et plus commodes.

En tout cas, l'emplacement sur lequel s'élèvent aujourd'hui ceux dont nous admirons les restes, était, longtemps avant Hadrien, occupé par des docks dont il a conservé les maçonneries toutes les fois qu'il l'a pu sans nuire à ses propres conceptions: les murs de F 15, F 17, F 18 et de D 1, derniers témoins des horrea républicains, dont les lignes, prolongées par l'esprit, iraient s'intercepter, comme les autres, à angle droit; - les balustrades en réticulé qui relient les piliers de la cour D et qui, chronologiquement, ne descendent pas plus bas que le règne de Vespasien (2). Et, d'autre part, j'ai la conviction que cet emplacement appartenait au fisc. Tout dernièrement - et ce n'est pas la moindre de ses heureuses fortunes - M. Vaglieri a découvert et publié un cippe de travertin mentionnant une terminatio publica de sententia senatus en territoire Ostien (3). Du jour où le prince assuma la lourde responsabilité des approvisionnements publics, nul doute qu'il n'ait hérité, à Ostie,

(1) Cf. Notizie, 1909, p. 82; 1910, p. 16.

(2) Cette intégration dans le plan d'Hadrien de maçonneries plus vieilles de cinquante ans explique la présence des marques de briques « medii saeculi I ».

(3 Notizie, 1910, p. 232-233.

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une bonne part des terrains que les censeurs - ou les préteurs urbains agissant avec les pouvoirs censoriaux (1) - avaient revendiqués à l'Etat: les magasins indispensables au service de l'annone sont devenus sûrement alors des horrea fiscalia. J'ai déjà cité les horrea Postumiana dont le nom figure sur des briques qu'on a trouvées à Ostie, à Ostie seulement, comme le dit Dressel (2), dans le quartier des docks et en très grand nombre, comme l'indiquent les notes de M. Lanciani (3): qu'ils aient été construits avec, les briques qu'ils ont nommées, ou que, plutôt, ils les aient contenues, ces horrea étaient, comme les briques, propriété de César: hor[r]eis Postumianis Caesaris n(ostri) A(ugusti). Dressel a volontairement omis dans son commentaire de désigner plus clairement le César dont il s'agit. S'il eût connu la provenance exactement localisée des briques en question, il n'aurait pas hésité, lui qui, ailleurs, rend à Hadrien les briques de César (4), à lui attribuer par surcroit les horrea Postumiana - et, avec eux. le quartier que nous venons d'étudier. Aussi bien, tandis qu'on a trouvé, à l'Est de la rue A, des conduites d'eau qui, timbrées au nom de particuliers (5), démontrent que les bâtiments qu'elles alimentaient furent propriété privée. on a découvert, entre le temple et le fleuve (6), une conduite d'eau qui, estam-

(1) Tel le C. Caninius C. f. des cippes découverts par M. Vaglieri.

(2) C. I. L., XV, 4, p. 1.

(3) « moltissimi », à la date du 8 janvier 1870.

(4) C. I. L., XV, p. 204 : « In tegulis urbanis Hadriani nomen nondum comparuit: eius sunt lateres plerique nomine Caesaris notati ». Ici, il n'est que juste de le reconnaître, Dressel incline à rapporter retrospectivement à Hadrien la marque dont il s'agit: « Ex lateribus nomine Caesaris signatis consulum nota carentibus huc videntur pertinere 709-713; praeterea ex superioribus 4, 115, 280 etc. ... ».

(5) C. I. L., XIV. 1985, 1988.

(6) Ibid., 1980. Cette fistula fut trouvée non lungi dal tempio, en même temps que le no 21 « vicino al tempio ... ma sulla ripa del fiume ». Ce n'est peut-être pas une coïncidence fortuite si l'on a découvert une fistula au nom d'Hadrien (C. I. L., XIV, 1976) « nella parte d'Ostia antica ch'era verso la porta romana » c'est-à-dire, précisément du côté des cippes de terminatio publica. On pourrait aussi invoquer la fistula publiée par M. Vaglieri, Notizie, 1908, p. 330.

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pillée au nom d'Antonin le Pieux nous assure que les docks situés près du Tibre étaient propriété impériale.

Ainsi, c'est tout un côté de la figure d'Hadrien qui s'éclaire. Empereur itinérant et bâtisseur (1), il n'a pas aimé que les constructions somptueuses de dévotion ou d'agrément, les temples, les thermes et les palais. Gaston Boissier a comparé sa villa de Tibur au château de Versailles (2); mais le César Romain portait en lui, avec le faste arbitraire de Louis XIV, le génie des réalités qui grandit Colbert; et comme celui-ci a créé tout ou partie de Brest, Lorient, Cette et Rochefort. Hadrien a, pour ainsi dire, refait Ostie à lui tout seul. Et c'est en même temps le véritable caractère d'Ostie que nous achevons de pénétrer. Les places, les quais, les docks dont nous admirons aujourd'hui les ruines, sont sortis, en vingt années, d'une conception unique et volontaire. Si l'on essaye de retrouver la vie qui les animait, on songe à l'aspect que nous offre encore telle marine d'Orient. Mais quand on cherche à ressaisir le fil de leur histoire, à définir le plan qu'ils réalisent, on se rappelle, malgré l'énorme éloignement des temps et des lieux, la rapidité avec laquelle, suivant deux directions tracées une fois pour toutes et d'ailleurs perpendiculaires, ont grandi, au XIXe siècle, certaines villes de commerce américaines.

Paris, 31 décembre 1910.

Jérôme Carcopino.

(1) Eutrope, VIII, 7: « Orbem Romanum circumiit multa aedificavit ».

(2) Boissier, ap. Gusman, La villa Impériale de Tibur, Paris, 1904, in-4o, p. ix.